RFCH : Comment mieux s’adapter au changement climatique en ville ?

Sonia Lava­din­ho, Marie-Laure Merle Ber­tin et Ber­nard Len­sel reviennent sur les 19e Ren­contres fran­co-suisses des urba­nistes, qui se sont dérou­lées en juin der­nier à Chambéry.

Les RFCH, pour Ren­contres fran­co-suisses des urba­nistes, se sont dérou­lées sans inter­rup­tion depuis 2003 ; la pre­mière de ces ren­contres a eu lieu à Evian et, très rapi­de­ment, nous avons alter­né chaque année entre Suisse et France. Les thé­ma­tiques ont été très variées et sou­vent liées au contexte frontalier.

Avec la crise sani­taire, nous sommes pas­sés en mode hybride (pré­sen­tiel et visio-confé­rence), ce qui nous a per­mis de nous éloi­gner un peu des rives du Léman, pour celles des lacs de Neu­châ­tel (2021) et du Bour­get (cette année).

Les thé­ma­tiques rete­nues récem­ment ont une por­tée plus géné­rale que trans­fron­ta­lière, avec la marche en ville, l’an der­nier, et l’adaptation au chan­ge­ment cli­ma­tique cette année ! Il nous a sem­blé vital, en ces temps où les défis cli­ma­tiques et sociaux se font plus pres­sants par­tout dans le monde urbain, de par­ta­ger les meilleures pra­tiques de part et d’autre de nos fron­tières en sou­li­gnant, ce qui va conti­nuer de nous unir dans un hori­zon urbain désirable !

L’accueil des élus et des ser­vices de la ville de Cham­bé­ry, le 24 juin der­nier, a été très posi­tif et nous a per­mis des échanges thé­ma­tiques inter­ac­tifs et fructueux.

Des espaces arbo­rés et conviviaux

La stra­té­gie de végé­ta­li­sa­tion de nos villes doit non seule­ment ser­vir de cadre pri­vi­lé­gié pour faire éclore la Ville Rela­tion­nelle en octroyant davan­tage de place au séjour, au jeu, à la détente et aux socia­bi­li­tés, mais aus­si appor­ter une réponse plus sys­té­ma­tique et plus ambi­tieuse à la ques­tion du confort cli­ma­tique ; notam­ment en fai­sant appel à une double logique qui incor­pore à la fois le ren­for­ce­ment de la cano­pée avec des arbres de grand port mais aus­si la plan­ta­tion de strates plus basses en ayant notam­ment recours à des ver­gers, des haies et des arbustes en phase avec la figure de la ville nour­ri­cière et comes­tible. Plus glo­ba­le­ment, d’autres strates basses sont aus­si envi­sa­geables, du moment qu’elles amènent de la fraî­cheur et que les éco­sys­tèmes ain­si géné­rés deviennent plus appro­priables par la popu­la­tion, notam­ment les publics plus fra­giles et qui souffrent le plus en cas de cani­cule — les femmes enceintes, les petits enfants, les seniors, et assurent leur confort cli­ma­tique, de jour comme de nuit.

         La taille de l’agglomération et son amé­na­ge­ment ont un effet impor­tant sur les îlots de chaleur

Il s’agit donc de sor­tir des logiques actuelles encore trop peu ambi­tieuses, qui res­tent ancrées autour de poli­tiques de végé­ta­li­sa­tion anciennes qui ne visent qu’à assu­rer une cer­taine conti­nui­té d’arbres d’alignement ou offrir occa­sion­nel­le­ment de petits îlots plan­tés, pour embras­ser une vision beau­coup plus ambi­tieuse de désas­phal­tage et de recon­quête de la pleine terre ; une véri­table logique qui renoue avec des sols vivants par­tout où cela est pos­sible. Il s’agit d’opter de façon beau­coup plus sys­té­ma­tique qu’aujourd’hui pour un urba­nisme qui soit plus res­pec­tueux des limites pla­né­taires, qui res­pecte et valo­rise la bio­di­ver­si­té tout en encou­ra­geant davan­tage le lien social et intergénérationnel.

Des trames vertes et bleues…

Le prin­cipe de valo­ri­sa­tion des trames vertes et bleues en vigueur depuis quelques décen­nies est aujourd’hui appli­qué dans des espaces urbains de plus en plus vastes, en ten­tant de relier toutes les dif­fé­rentes échelles. 

La recon­quête des berges des fleuves, par­fois aus­si des zones humides, a redon­né à nou­veau un rôle de pre­mier plan à l’eau dans la ville. Cer­tains pro­jets, à l’instar par exemple de la Drize à Genève, vont jusqu’à la rena­tu­ra­tion ou au débi­tu­mage pour remettre l’eau à la sur­face, en la fai­sant réap­pa­raître là où l’urbanisme des années 1960 à 1970 l’a sub­ti­li­sé du regard.

La trame bleue est par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace pour rafraî­chir la ville. La per­méa­bi­li­té retrou­vée des sols per­met de mieux drai­ner la ville deve­nue aujourd’hui trop miné­rale et donc sujette à des îlots de cha­leur expo­nen­tiels : dès le XIIIème siècle, la ville de Gre­nade, située au pied de la Sier­ra Neva­da, avait su amé­na­ger un jeu de fon­taines, de bas­sins et de rivières ombra­gés ; l’adaptation au cli­mat était déjà bien pré­sente. Un renou­veau de la trame bleue répond main­te­nant à la néces­saire adap­ta­tion au chan­ge­ment cli­ma­tique à des lati­tudes plus sep­ten­trio­nales : si des villes comme Amiens, Bruges ou Douai ont su gar­der une rela­tion forte avec l’eau dans la ville, Lille a pré­vu de trans­for­mer l’essai avec l’opération de l’Avenue du Peuple Belge qui reprend tout un quar­tier et en pro­pose la remise en eau pro­gres­sive de la Basse-Deûle, avec 4 scénarios :

 

 Du sce­na­rio 1 au sce­na­rio 4 ; https://www.lille.fr/Actualites/Consultation-sur-l-avenue-du-Peuple-Belge 

Cham­bé­ry part dans la même direc­tion, avec son pro­jet de remise à l’air libre de la Leysse dans le centre-ville, en lieu et place d’un parc de sta­tion­ne­ment (ave­nue des Ducs) lar­ge­ment com­pen­sé par des opé­ra­tions voi­sines (par­king Ravet, notam­ment). Ce pro­jet est en cours d’élaboration et fait actuel­le­ment l’objet de débats. Le but est bien ici encore de lut­ter contre les îlots de cha­leur, y com­pris dans le centre-ville his­to­rique, sou­vent l’un des sec­teurs les plus expo­sés du fait de sa rela­tive miné­ra­li­té.                                                             Cours de la Leysse au Centre de Chambéry

… Aux Ruis­seaux de fraî­cheur 

Au-delà de ces trames vertes et bleues clas­siques, dont la por­tée spa­tiale reste limi­tée du fait de leur rela­tive rare­té, Sonia Lava­din­ho pro­pose un nou­veau levier infra­struc­tu­rel qui per­met d’apporter de la fraî­cheur de façon beau­coup plus mas­sive en ville, à tra­vers le concept de « Ruis­seaux de fraî­cheur ». L’action vise à trans­for­mer toute une série de trames grises qui com­posent nos voi­ries aujourd’hui : péné­trantes, rocades, voies inter­quar­tiers, en nou­velles trames fraîches qui apportent une vraie fraî­cheur à nos dépla­ce­ments à l’échelle des bas­sins de vie vécus tels qu’ils sont pra­ti­qués au quo­ti­dien par les popu­la­tions. 

Ces trames grises qui pour­ront offi­cier comme nou­veaux super­con­nec­teurs verts auront pour fonc­tion de relier les quar­tiers entre eux, les pre­mières et les deuxièmes cou­ronnes entre elles. Leur lon­gueur peut varier de 1 à 5 km, ils sont ain­si adap­tés à la pra­tique quo­ti­dienne de la marche, du vélo et des micro­mo­bi­li­tés. Sur­tout, ils ont le poten­tiel d’être par­tiel­le­ment débi­tu­més afin d’en faire de véri­tables cor­ri­dors san­té & bio­di­ver­si­té, pro­mou­vant tant l’activité phy­sique que la convi­via­li­té chez les humains, et per­met­tant sur­tout de nou­velles coha­bi­ta­tions avec le vivant en ville. Au para­digme de la vitesse suc­cède ain­si celui de la tex­ture du tra­jet et du temps plei­ne­ment bien vécu : un temps employé à ren­trer en rela­tion avec soi-même par le biais de son corps en mou­ve­ment, ren­trer en rela­tion avec cette nature de proxi­mi­té qui se déploie sous nos pas, et ren­trer en rela­tion avec les autres. 

Les ruis­seaux de fraî­cheur vont ain­si bien au-delà de la logique trop timo­rée et trop éparse des simples îlots de fraî­cheur. Ils visent à recon­qué­rir des mailles stra­té­giques au sein du réseau viaire pour per­mettre réel­le­ment aux humains de conti­nuer à se dépla­cer confor­ta­ble­ment en ville dans un futur proche où le réchauf­fe­ment ren­dra les dépla­ce­ments à pied et à vélo tout bon­ne­ment invi­vables, si l’on ne cor­rige pas le tir dès à pré­sent. 

Une néces­saire sobrié­té fon­cière différenciée

La lutte contre l’étalement urbain et l’imperméabilisation des sols est deve­nue une néces­si­té pour s’adapter au chan­ge­ment cli­ma­tique, mais la loi Cli­mat et Rési­lience ne peut s’appliquer indis­tinc­te­ment à tous les ter­ri­toires de l’Hexagone.

Ain­si, la part des sur­faces arti­fi­cia­li­sées est de 21,5% en Île de France et de seule­ment 7,2% en Bour­gogne Franche-Com­té. La faible consom­ma­tion fon­cière dans les deux régions résulte de causes radi­ca­le­ment dif­fé­rentes : une sur­den­si­té dans le pre­mier cas, un dyna­misme de déve­lop­pe­ment rela­ti­ve­ment faible dans le deuxième.

De plus, l’application des cri­tères du Zéro Arti­fi­cia­li­sa­tion Nette ne peut igno­rer les dif­fé­rences entre les com­munes d’une même agglo­mé­ra­tion ; pre­nons le cas du Grand Besan­çon, où la ville centre com­porte 121.000 habi­tants et la com­mune sui­vante par ordre démo­gra­phique, Saint Vit, ne com­porte que 4.900 habi­tants. Il est évident que les pro­blé­ma­tiques de den­si­té et d’intensité urbaines, de capa­ci­té de renou­vel­le­ment urbain, ne peuvent pas être les mêmes. Une mise en ten­sion arti­fi­cielle est ain­si créée par la loi entre des ter­ri­toires qui ne sont pas là pour cela, entre la vieille ville impé­riale des Habs­bourg et des bourgs ruraux qui ont leur propre logique en termes de peu­ple­ment et de services.

Si la sobrié­té fon­cière est un impé­ra­tif, elle doit s’apprécier au regard des carac­té­ris­tiques, dyna­miques  et spé­ci­fi­ci­tés locales.

Par ailleurs, la pré­ser­va­tion des sols natu­rels et agri­coles doit faire par­tie inté­grante du pro­jet de déve­lop­pe­ment, en com­plé­men­ta­ri­té  de la recherche de sobrié­té fon­cière urbaine ; l’acceptation du ZAN doit s’inscrire dans le temps long de l’aménagement, avec des phases de tran­si­tion néces­saires pour atteindre l’objectif fixé pour 2050.

Un nou­veau para­digme rela­tion­nel pour les espaces publics

A l’aube d’une nou­velle décen­nie mar­quée par une pan­dé­mie d’une ampleur inédite com­por­tant des phases suc­ces­sives de confi­ne­ment ou semi-confi­ne­ment qui ont impac­té for­te­ment et dura­ble­ment nos modes de vie, et en par­ti­cu­lier notre rela­tion à notre liber­té de mou­ve­ment, il est plus urgent que jamais d’imaginer des che­mins de pen­sée nou­veaux pour amé­na­ger nos villes et nos espaces publics qui conci­lient la quête indi­vi­duelle du bien-vivre avec la quête col­lec­tive de rési­lience éco­no­mique et éco­lo­gique, de san­té, de cohé­sion sociale et inter­gé­né­ra­tion­nelle. Mieux adap­ter nos villes au chan­ge­ment cli­ma­tique exi­ge­ra des efforts consé­quents des citoyens quant à leurs pra­tiques quo­ti­diennes et demande une forte accep­ta­bi­li­té. De notre point de vue, cette rési­lience ne sera un objec­tif par­ta­gé par tous que lorsqu’elle sau­ra trou­ver le bon niveau de dis­cours. Ce dis­cours s’appuiera sur deux leviers d’action concrets : la trans­for­ma­tion de nos bons vieux espaces publics fonc­tion­nels en sols fer­tiles afin que la nature y retrouve sa pleine place et la refonte de la fonc­tion mobi­li­taire de ces espaces, qui sera très lar­ge­ment rem­pla­cée par la fonc­tion relationnelle.

Alors que faut-il pour créer cette ville plus rési­liente face au chan­ge­ment cli­ma­tique ? Au-delà de toutes les ques­tions tech­niques à résoudre, c’est sur­tout la ques­tion de quel récit l’on veut pour cette ville : le récit pro­po­sé avec la Ville Rela­tion­nelle per­met d’orienter les actions de trans­for­ma­tion de nos espaces publics et bâtis de façon très claire : il s’agit de ren­for­cer le tryp­tique rela­tion­nel : ren­for­cer la qua­li­té de la rela­tion à soi-même — son corps autant que son esprit -, la rela­tion aux autres, la rela­tion au vivant et à la nature en ville. Ces trois dimen­sions du bien-être citoyen sont à mettre au front des poli­tiques publiques qui régissent l’aménagement urbain afin de garan­tir une ville plus saine, plus vivable et sur­tout plus vivante : en un mot, plus durable.

Sonia Lava­din­ho, Marie-Laure Merle Ber­tin et Ber­nard Lensel

 

 

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