Trames vertes et bleues : retour à Rennes et sur la ville archipel

Territoire pionnier de la reconnaissance et de la mise en œuvre des trames vertes et bleues, la Métropole de Rennes a développé et appliqué, il y a plus de trente ans, le concept de « ville archipel » pour conjuguer protection de l’environnement et développement urbain. Reportage en forme de bilan.

Il suf­fit d’une dizaine de minutes en trans­port depuis la gare fer­ro­viaire pour se retrou­ver nez à nez avec trois vaches écossaises brou­tant l’herbe fraîche des prai­ries Saint-Mar­tin. Comme une impres­sion d’être au beau milieu des plaines bre­tonnes, pour­tant, nous sommes au cœur de Rennes, à proxi­mité de quar­tiers d’habitation denses. C’est bien cela le génie de la « ville archi­pel ». Ce terme inventé par Phi­lippe Tour­te­lier, pre­mier vice-président de l’agglomération de Rennes Métropole (1989–2008), désigne la stratégie ter­ri­to­riale qui a per­mis de conser­ver 78 % du ter­ri­toire en terres agronaturelles.

Au début des années 1970, Rennes s’interroge sur son deve­nir. L’arrivée du fabri­cant auto­mo­bile Citroën sur deux sites consti­tue le moment pro­pice pour enclen­cher une poli­tique d’attractivité. Hen­ri Fréville, maire depuis 1953, pro­pose donc aux com­munes voi­sines de consti­tuer une com­mu­nauté urbaine. Si elles sont défavorables de prime abord, crai­gnant un acca­pa­re­ment de la ville-centre, des com­pro­mis abou­tissent à la création, en 1970, d’un dis­trict de 27 com­munes, sui­vie par celle de l’agence d’urbanisme, l’Audiar, en 1972. Le pre­mier schéma d’aménagement et d’urbanisme (SDAU), approuvé le 31 octobre 1974, iden­ti­fie les nou­veaux espaces de développement. « La ville-centre se développe et le SDAU vient struc­tu­rer une conti­nuité urbaine sur plu­sieurs com­munes », raconte Marc Hervé, actuel pre­mier adjoint délégué à l’urbanisme de la Ville de Rennes.

Mais les élections muni­ci­pales de 1977 vont profondément chan­ger la dyna­mique engagée par le SDAU. Le socia­liste Edmond Hervé, élu à Rennes, refuse la dyna­mique de conur­ba­tion et de concen­tra­tion autour de la ville-centre. « Nous avons échappé au développement en tache d’huile qu’ont connu beau­coup de villes françaises à ce moment-là. Sans l’arrivée au pou­voir des socia­listes, nous aurions vu se développer une ville nou­velle agglomérant les com­munes limi­trophes de Rennes », pour­suit Marc Hervé. Appuyé par les élus de la majo­rité, Phi­lippe Tour­te­lier et Jean-Yves Cha­puis, Edmond Hervé, maire de Rennes de 1977 à 2008, définit des centralités entourées d’espaces agro­na­tu­rels et d’une cein­ture verte et bleue, c’est la nais­sance de la « ville archipel ».

Elle se dis­tingue dans son approche urbaine en considérant les espaces natu­rels comme des « pleins ». « Il y a eu très rapi­de­ment l’idée qu’entre la ville-centre et les com­munes, il fal­lait une cou­pure, la fameuse cein­ture verte, écrit Jean-Yves Cha­puis, dans un ouvrage paru en 2013. Élevée au rang de monu­ment urbain, la nature joue un rôle inédit de repère et de mémoire dans un ensemble hétéroclite, aux com­po­santes perçues et vécues de manière inséparable par les habi­tants. L’urbain, le périurbain et le rural s’interpénètrent, pour le meilleur et pour le pire. »

« Si l’on ana­lyse aujourd’hui ce pro­jet urbain sous le prisme de la pro­tec­tion et de la rela­tion au vivant, tel n’était pas forcément l’objectif prin­ci­pal à l’origine, précise Jean-Louis Vio­leau, socio­logue spécialiste du champ archi­tec­tu­ral. Il s’agissait sur­tout de gérer intel­li­gem­ment un étalement urbain inévitable, dont on avait du mal à prendre la mesure ailleurs. »

La redécouverte du fleuve

Au début des années 1990, un pro­jet emblématique assoit la nou­velle vision ter­ri­to­riale de la Métropole. L’urbaniste-paysagiste- archi­tecte Alexandre Che­me­toff est man­daté pour réhabiliter les berges de la Vilaine. Comme beau­coup de villes, Rennes, guidée par le cou­rant hygiéniste, tourne le dos à son fleuve depuis le XIXe siècle, à une époque où l’eau est perçue comme un élément vec­teur de mala­dies. Cette séparation est accentuée par l’expansionnisme déraisonné des Trente Glo­rieuses, gou­verné par l’automobile. L’aménagement pensé en fonc­tion du réseau rou­tier entraîne de véritables frac­tures ter­ri­to­riales. Malgré des contraintes envi­ron­ne­men­tales fortes – Rennes est en zone inon­dable – la ville se réouvre donc à la Vilaine. « Ce n’est pas une ville d’eau, alors qu’elle est omniprésente. L’intérêt de cette trame bleue a été de mettre en évidence, puis de pla­ni­fier la plu­part des grands pro­jets de Rennes, explique Jean-Louis Vio­leau. Elles sont dessinées et matérialisées dans un docu­ment d’urbanisme, ce qui est très rare pour l’époque ! »

Mai­der Darricau

Zone humide des prai­ries Saint-Mar­tin de Rennes, avec les vaches High­lands présentes dans l’enclos.

©Hoolen/CC BY-SA‑4.0

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