Le ZAN, de la théorie à la pratique : les différenciations socioculturelles des individus, angle mort des réflexions ?

Comment concilier l’impératif sur le plan éthique, réglementaire et juridique d’optimiser le foncier, et la nécessité de garantir une équité dans l’accès à la ressource foncière et immobilière ?
Telle est une des questions posées dans mon travail de recherche, associant le conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) de la Haute-Vienne et l’UMR GEOLAB.

 

Voi­là bien­tôt deux ans que la loi cli­mat et rési­lience a été pro­mul­guée, accom­pa­gnée de son objec­tif phare, le « zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette » des sols (ZAN). Un objec­tif qui vise à réduire la consom­ma­tion d’espaces natu­rels, agri­coles et fores­tiers, à l’heure où la France a consom­mé près de 5 ter­rains de foot par heure pour satis­faire nos besoins sur la der­nière décennie1. Cepen­dant, dans son pas­sage de la théo­rie à la pra­tique, le ZAN interroge.

En pra­tique, un angle mort de la loi cli­mat et rési­lience et de la loi ZAN demeure : la prise en compte des dif­fé­ren­cia­tions socio­cul­tu­relles des indi­vi­dus. Une dimen­sion socio­lo­gique qui n’a visi­ble­ment pas été débat­tue à l’Assemblée, mais dont Éric Charmes, direc­teur de recherche à l’ENTPE, a très vite mis en garde. Focus sur cette poten­tielle « bombe sociale à retar­de­ment2 ».

 

À l’échelle locale, des objec­tifs dif­fi­ci­le­ment conciliables

Dans sa décli­nai­son locale, le ZAN fait por­ter aux col­lec­ti­vi­tés locales de nou­veaux objec­tifs, plus ou moins identifiés.

D’une part, celui visant à réduire l’artificialisation des sols et à limi­ter la consom­ma­tion d’espace. Objec­tif qui vient d’ailleurs se heur­ter à la res­pon­sa­bi­li­té de conser­va­tion et de pré­ser­va­tion des patri­moines et par­ti­cu­la­ri­tés locales.

Par ailleurs, pour des com­munes rurales qui luttent déjà contre la fer­me­ture de classes dans leur école, il peut sem­bler dif­fi­cile de conce­voir qu’une réduc­tion des droits à bâtir ne met­tra pas en péril le main­tien de la popu­la­tion com­mu­nale. C’est un élé­ment qui est sou­vent poin­té du doigt comme une res­pon­sa­bi­li­té, du man­dat en cours, alors que les fer­me­tures de classe ne dépendent pas de l’équipe muni­ci­pale en place ni néces­sai­re­ment du nombre d’enfants.

D’autre part, dans sa phi­lo­so­phie, le ZAN consti­tue un objec­tif de régu­la­tion des res­sources. En effet, il est plus cou­tume de pen­ser l’environnement à tra­vers un prisme de conser­va­tion des res­sources, qu’en termes de droit et de jus­tice sociale. Ain­si, le visage humain et social des ques­tions envi­ron­ne­men­tales devient le parent pauvre du ZAN. Heu­reu­se­ment, quelques apports de la recherche aca­dé­mique per­mettent de faire tom­ber le masque. La ques­tion de la jus­tice, et par­ti­cu­liè­re­ment de l’inégale dis­tri­bu­tion des biens sociaux y a déjà été lar­ge­ment débattue3.

Par ailleurs, à l’aune de la dif­fu­sion du champ envi­ron­ne­men­tal dans toutes les sphères de réflexion, cer­tains cher­cheurs ont mon­tré la néces­si­té d’aller au-delà des ques­tions com­munes de jus­tice dis­tri­bu­tive, afin de prendre en compte celles liées à la recon­nais­sance – ou plu­tôt à la non-recon­nais­sance – de cer­tains indi­vi­dus dans les pro­ces­sus de décision4.

Ain­si, l’application du ZAN pose d’ores et déjà des ques­tions d’équité vis-à-vis de l’accession à la res­source fon­cière. Le cas échéant, les col­lec­ti­vi­tés se voient affé­rer une énième res­pon­sa­bi­li­té : celle de redres­ser la non-équi­té dans la dis­tri­bu­tion et l’accession à la res­source fon­cière, et celle de cor­ri­ger les condi­tions d’une non-recon­nais­sance sociale dans les pro­ces­sus de décision5.

 

Le ZAN, révé­la­teur de dif­fé­ren­cia­tions socio­cul­tu­relles… et territoriales ? 

Entre lutte contre l’artificialisation des sols et lutte sociale, il n’y a qu’un pas. À l’heure où les terres sont l’objet de mul­tiples convoi­tises et sont le ter­rain de luttes en tout genre, l’application du ZAN est sur­tout révé­la­trice d’inégalités dans l’accès à la res­source pour les ménages. Par ailleurs, elle pose aus­si la ques­tion de l’acculturation des acteurs locaux – élus, agents et tech­ni­ciens – aux enjeux fon­ciers et urbanistiques.

En effet, la loi cli­mat et rési­lience impose une mise en com­pa­ti­bi­li­té des docu­ments d’urbanisme locaux avec l’objectif ZAN, à l’horizon 2027. De toute évi­dence, les droits à bâtir dans les ter­ri­toires seront donc modé­rés, voire res­treints. Néan­moins, ce sont plus géné­ra­le­ment les logiques rési­den­tielles et de mar­ché qui pour­raient être impactées.

Une dimi­nu­tion du nombre de ter­rains construc­tibles porte en elle le risque de voir des effets spé­cu­la­tifs s’abattre sur ces der­niers. De cette manière, il est pro­bable que les par­celles construc­tibles res­tantes ne puissent être acces­sibles à tous, sur­tout lorsque l’on sait que huit Fran­çais sur dix dési­rent habi­ter une mai­son individuelle6.

Avec ces nou­velles dyna­miques, est-ce que seuls les plus dotés en capi­taux, en prio­ri­té éco­no­miques, pour­raient s’autoriser le « rêve pavillonnaire » ?

Fort de ce constat, l’urbaniste ne peut se faire l’économie des enjeux sociaux asso­ciés au ZAN.

Dès lors, il pour­rait notam­ment faire appel à une approche bour­dieu­sienne pour les décrypter.

Plus encore, puisqu’il s’agit d’artificialisation des sols et d’espace rural, c’est éga­le­ment l’occasion de repo­si­tion­ner la ques­tion des inéga­li­tés sociales dans le champ environnemental.

En effet, depuis déjà quelques décen­nies, des cher­cheurs de l’UMR GEOLAB ont théo­ri­sé le concept de « capi­tal envi­ron­ne­men­tal », appor­tant une valeur ajou­tée dans l’analyse des inéga­li­tés envi­ron­ne­men­tales. Défi­ni comme « l’ensemble des inves­tis­se­ments (socio-éco­no­miques, idéo­lo­giques, émo­tion­nels, poli­tiques, artis­tiques…) dans l’environnement réa­li­sés par des acteurs selon leurs repré­sen­ta­tions, inté­rêts et sys­tèmes de valeurs spé­ci­fiques7 », il nous apporte éga­le­ment une autre lec­ture du ZAN.

De fait, l’espace rural et les pay­sages qui y sont asso­ciés deviennent autant de res­sources convoitées.

Ain­si, l’expression du capi­tal envi­ron­ne­men­tal peut se tra­duire par l’acquisition d’un bien fon­cier ou immo­bi­lier dans un ter­ri­toire. Néan­moins, l’achat et la construc­tion sont subor­don­nés aux moyens, en par­ti­cu­lier finan­ciers des ménages, et/ou plus géné­ra­le­ment de dif­fé­rents types de capi­taux – éco­no­miques, sociaux, mais aus­si cultu­rels – qu’ils détiennent.

Or, avec la mise en œuvre du ZAN, les droits à bâtir se voient for­te­ment dimi­nuer, ce qui signi­fie que les ter­ri­toires vont voir une par­tie de leurs res­sources fon­cières se raré­fier, pré­sup­po­sant donc une com­pé­ti­tion entre les ménages vis-à-vis du foncier.

De cette manière, l’application du ZAN ne faci­lite pas la déten­tion et l’expression d’une forme de capi­tal environnemental.

Par ailleurs, ces moda­li­tés d’accès au fon­cier sont aus­si condi­tion­nées par des choix poli­tiques par le biais des col­lec­ti­vi­tés. Ceux-ci peuvent être orien­tés par des aspi­ra­tions per­son­nelles, pro­fes­sion­nelles des élus, ou influen­cés par l’inscription d’une com­mune dans un ter­ri­toire aux carac­té­ris­tiques patri­mo­niales spécifiques.

De ce fait, une autre dif­fé­ren­cia­tion que la mise en œuvre du ZAN per­met de mettre en exergue : celle des acteurs locaux (élus, agents, tech­ni­ciens) aux­quels incombe cette charge. Comme les ménages, ces der­niers se dis­tinguent éga­le­ment par la pos­ses­sion de dif­fé­rentes formes de capi­taux, qui influencent leurs niveaux de consi­dé­ra­tion et de sen­si­bi­li­té aux ques­tions envi­ron­ne­men­tales, patri­mo­niales et sociales, dont on a vu qu’elles étaient étroi­te­ment intri­quées à la mise en œuvre du ZAN. De fait, l’acculturation des élus et leurs convic­tions per­son­nelles varient en fonc­tion de leurs pro­fils socioculturels.

De la même manière, cette hypo­thèse pose éga­le­ment la ques­tion de l’influence du ter­ri­toire d’exercice. Cer­tains ter­ri­toires sont carac­té­ri­sés par de forts enjeux de pré­ser­va­tion ou des atouts patri­mo­niaux mar­qués par la pré­sence de clas­se­ments ou péri­mètres de pro­tec­tion : sites clas­sés ou ins­crits, sites patri­mo­niaux remar­quables, péri­mètre aux abords des monu­ments his­to­riques, etc. En toute logique, les acteurs locaux se situant dans ces ter­ri­toires seraient peut-être plus enclins à adhé­rer à l’objectif de pré­ser­va­tion du ZAN, car atten­tifs aux effets délé­tères des logiques d’étalement urbain et de mitage.

De nou­veau, ce sont des pré­oc­cu­pa­tions sociales qui sont réac­ti­vées : si le ZAN est ame­né à accen­tuer des logiques de pré­ser­va­tion déjà à l’œuvre dans cer­tains ter­ri­toires (labels Plus beaux vil­lages de France, Petites cités de carac­tère, etc.), n’y a‑t-il pas ici un risque de voir des ter­ri­toires « sur-sanc­tua­ri­sés » et donc inac­ces­sibles aux moins aisés ?

Ain­si, il se pour­rait que ces dyna­miques marquent une frac­ture entre les ter­ri­toires aux atouts patri­mo­niaux mar­qués, et les autres. De la même manière, il est pos­sible de dis­tin­guer les ter­ri­toires « bons élèves », ayant, de manière conscience ou non, arti­fi­cia­li­sé de manière rai­son­née leur ter­ri­toire sur la der­nière décen­nie, et les « mau­vais élèves », sans que cette dis­tinc­tion n’engendre de « bons points » pour les premiers.

À titre d’exemple, à la Jon­chère-Saint-Mau­rice, petite com­mune de 800 habi­tants du dépar­te­ment de la Haute-Vienne au cœur des monts d’Ambazac, la muni­ci­pa­li­té s’est lan­cée rela­ti­ve­ment tôt dans un plan local d’urbanisme (PLU)« ver­tueux ». Ce fai­sant, elle n’a pas atten­du le ZAN pour dimi­nuer dras­ti­que­ment le nombre de droits à bâtir, ce qui l’a conduite à arti­fi­cia­li­ser seule­ment trois hec­tares entre 2011 et 2021, pour une crois­sance démo­gra­phique qui se situai­tau­tour de 0,55 % entre 2009 et 2014, et autour de 0,18 % entre 2014 et 2020 selon les chiffres de l’Insee. Ain­si, en com­pa­rai­son d’autres ter­ri­toires voi­sins, la com­mune béné­fi­cie d’une crois­sance démo­gra­phique posi­tive tout en ayant « peu » arti­fi­cia­li­sé, et se posi­tionne donc en bonne élève. Pour­tant, elle ne béné­fi­cie­ra que d’un hec­tare et demi pour assu­rer son déve­lop­pe­ment sur les dix pro­chaines années.

Concer­nant les ter­ri­toires plus ver­tueux, le légis­la­teur a ten­té de les ras­su­rer avec une garan­tie d’un hec­tare urba­ni­sable par com­mune. Cepen­dant, ses moda­li­tés de dis­tri­bu­tion et de consom­ma­tion ne sont pas encore connues. Il se pour­rait notam­ment que cette garan­tie soit mise en œuvre et dis­cu­tée à l’échelle de l’intercommunalité, impli­quant de reques­tion­ner la hié­rar­chie des com­munes dans les docu­ments d’urbanisme inter­com­mu­naux, sché­ma de cohé­rence ter­ri­to­riale (SCoT) ou plan local d’urbanisme inter­com­mu­nal (PLUi), quand ils existent.

Il est donc évident que le ZAN implique une néces­saire coopé­ra­tion entre les ter­ri­toires : on va leur deman­der de par­ler de « ter­ri­to­ria­li­sa­tion », alors qu’on res­sent encore l’amertume d’une inter­com­mu­na­li­té impo­sée, avec des débats par­fois hou­leux en réunion com­mu­nau­taire, quand il est ques­tion de voter la mise en œuvre d’un PLUi.

Alors, com­ment conci­lier impé­ra­tif envi­ron­ne­men­tal et exi­gence d’équité sociale ? Com­ment accom­pa­gner des ter­ri­toires aux carac­té­ris­tiques diver­gentes, reflets des dif­fé­ren­cia­tions socio­cul­tu­relles des acteurs locaux ?

L’étude de gise­ment fon­cier : une oppor­tu­ni­té ani­mée par les CAUE ?

À l’échelle locale, les agents, tech­ni­ciens et acteurs de l’ingénierie locale dont les col­lec­ti­vi­tés s’entourent, s’efforcent de se mettre au dia­pa­son pour essayer de trou­ver des élé­ments de réponse à l’impératif d’optimiser le fon­cier tout en ne com­pro­met­tant pas une forme d’équité dans l’accès à la ressource.

Les CAUE, asso­cia­tions loi 1901 œuvrant pour la pro­mo­tion archi­tec­tu­rale, urbaine et pay­sa­gère, en font partie.

Loin de se posi­tion­ner en mes­sie de la lutte fon­cière, ces der­niers essaient de contri­buer à leur échelle à la pro­duc­tion des savoirs et à répondre aux besoins de leur ter­ri­toire. C’est le cas notam­ment du CAUE de la Haute-Vienne, qui pro­pose d’accompagner les col­lec­ti­vi­tés dans l’élaboration d’une stra­té­gie fon­cière, par la réa­li­sa­tion d’études de gise­ment fon­cier. Une métho­do­lo­gie héri­tée de nos homo­logues du CAUE de la Gironde, qui ont déjà une lon­gueur d’avance dans ce type d’accompagnement, avec cer­tains ter­ri­toires en proie à une forte pres­sion foncière.

Ce type d’accompagnement vise à iden­ti­fier le fon­cier bâti et non bâti, aus­si bien public que pri­vé, qui serait dis­po­nible ou sus­cep­tible de muter pour déblo­quer un manque de res­source fon­cière et donc accueillir de nou­veaux loge­ments, équi­pe­ments ou encore espaces publics. L’étude est com­po­sée de deux prin­ci­paux volets : une phase de diag­nos­tic et des pro­po­si­tions d’orientations et de stra­té­gie foncière.

Le pre­mier pro­pose, d’une part, des élé­ments d’analyse socio­dé­mo­gra­phique, afin d’être en phase avec les évo­lu­tions du solde migra­toire et natu­rel de la com­mune, le degré d’attractivité, le type de biens les plus plé­bis­ci­tés, la com­po­si­tion des ménages et donc leurs besoins. D’autre part, l’identification de « gise­ments fon­ciers » est une par­tie char­nière de l’étude, et recense les biens vacants ain­si que les par­celles den­si­fiables ou non bâties.

Néan­moins, après avoir défi­ni un péri­mètre géné­ra­le­ment recen­tré autour du centre-bourg, la ques­tion des cri­tères de défi­ni­tion des « gise­ments » se pose, notam­ment lorsqu’il s’agit de par­ler de den­si­fi­ca­tion. Il n’est pas tou­jours évident de par­ler de den­si­té en milieu rural, encore moins lorsqu’il y a une forte proxi­mi­té entre élus locaux et habi­tants. En effet, il s’agit de dépas­ser les consi­dé­ra­tions connues sur les uns et les autres qui seraient plus ou moins dis­po­sés à divi­ser et vendre une par­tie de leur ter­rain. L’objectif final étant d’aboutir à un poten­tiel fon­cier sur la com­mune, qu’il soit mobi­li­sable direc­te­ment ou qu’il fasse l’objet de réten­tion foncière.

Ain­si, pour l’identification des par­celles dites « den­si­fiables », il est cou­tume pour le CAUE de choi­sir un seuil « accep­table » de 1 200 m² cou­plé à l’analyse d’une topo­gra­phie modé­rée du ter­rain ain­si qu’à une implan­ta­tion pro­pice du bâti­ment existant.

Si elles ne débouchent certes pas sur la décou­verte de mine­rais de terres rares, les études réa­li­sées par le CAUE per­mettent néan­moins de révé­ler des poten­tiels fon­ciers non négligeables.

Néan­moins, cela ne signi­fie pas que tout reste à bâtir, d’autant plus que l’écrasante majo­ri­té du fon­cier relève du domaine pri­vé, et n’est donc pas mobi­li­sable immé­dia­te­ment. C’est donc là qu’intervient la phase de stra­té­gie foncière.

Dans une vision pros­pec­tive du ter­ri­toire, l’objectif est de défi­nir un péri­mètre d’intervention prio­ri­taire pour la col­lec­ti­vi­té, sec­teur sur lequel un cer­tain nombre de gise­ments fon­ciers a été iden­ti­fié, à proxi­mi­té d’éléments struc­tu­rants­pour le fonc­tion­ne­ment urbain du bourg (espaces publics, com­merces, ser­vices…). L’objectif étant de contri­buer à la redy­na­mi­sa­tion des centres-bourgs, notam­ment dans le pro­lon­ge­ment des pro­grammes Petites villes de demain et Vil­lages d’avenir. Cette par­tie est conçue comme un outil d’aide à la déci­sion pour la col­lec­ti­vi­té : elle peut lui per­mettre de réflé­chir à cer­taines acqui­si­tions, de mettre en avant des sec­teurs stra­té­giques avec des objec­tifs de den­si­té à atteindre dans le cadre de la révi­sion d’un PLU8, de mener des actions de sen­si­bi­li­sa­tion auprès de ses administrés…

 

Vers un obser­va­toire du fon­cier : outil inno­vant ou mirage sociotech­nique ?

Dans le cadre du tra­vail de recherche coen­ca­dré par le CAUE 87 et l’UMR GEOLAB, l’objectif final repose sur la construc­tion d’un obser­va­toire du fon­cier, à l’échelle du dépar­te­ment de la Haute-Vienne.

Ces der­nières années, de nom­breux outils de cette nature ont fleu­ri, por­tés par des col­lec­ti­vi­tés ou des acteurs pri­vés, notam­ment du domaine immo­bi­lier. Dès lors, quelle serait la valeur ajou­tée de celui por­té en Haute-Vienne ?

Son objet serait de com­plé­ter le type d’accompagnement plus tra­di­tion­nel du CAUE 87 et ain­si per­mettre de capi­ta­li­ser les résul­tats de l’ensemble des études de gise­ment fon­cier réa­li­sées. Par-delà le béné­fice envi­sa­gé pour les col­lec­ti­vi­tés, l’ambition du CAUE est la sui­vante : rendre acces­sible les infor­ma­tions sur le fon­cier pour le plus grand nombre.

En effet, il vise à contri­buer à réduire les inéga­li­tés dans la dif­fu­sion de l’information sur la don­née fon­cière, notam­ment pour les par­ti­cu­liers. Compte tenu des recherches déjà menées par l’UMR GEOLAB sur le concept de capi­tal envi­ron­ne­men­tal, il serait aus­si ques­tion de per­mettre à chaque indi­vi­du, même les moins dotés en capi­taux et les mois infor­més sur les ques­tions fon­cières, d’acquérir ou de faire construire un loge­ment. De fait, ces inves­tis­se­ments immo­bi­liers marquent donc l’expression d’une forme de capi­tal environnemental.

Cepen­dant, il est néces­saire de prendre de la dis­tance vis-à-vis de ce type d’outil. Si ce type d’accompagnement porte en lui la volon­té de conci­lier opti­mi­sa­tion fon­cière, mise en œuvre du ZAN et condi­tions d’équité dans l’accès à la res­source fon­cière, ne pré­sente-t-il pas aus­si para­doxa­le­ment le risque d’accentuer ces formes d’inégalités ? En effet, cet outil d’aide à la déci­sion éma­ne­rait d’une construc­tion col­lec­tive, entre élus, agents, tech­ni­ciens, uni­ver­si­taires et conseillers du CAUE.

D’une cer­taine manière, il résulte donc de la trans­po­si­tion de repré­sen­ta­tions, socia­le­ment et poli­ti­que­ment orien­tées, par ces mêmes acteurs. La vision du ter­ri­toire qui en res­sort n’est donc pas neutre. Alors, cela signi­fie qu’il porte aus­si en lui le risque d’être ins­tru­men­ta­li­sé, à des fins de pro­mo­tion du ter­ri­toire ou de stra­té­gie d’accueil de cer­taines popu­la­tions, et légi­ti­me­rait donc leur capa­ci­té à investir.

Tant que la phase expé­ri­men­tale n’est pas plus avan­cée, ces ques­tions res­tent en suspens.

Ain­si, de la théo­rie à la pra­tique, conci­lier impé­ra­tif de sobrié­té fon­cière et équi­té dans l’accès à la res­source : défi attei­gnable ou utopie ?

Mor­gane Bris­saud, urba­niste-conseil, doc­to­rante en géographie

Notes

1/Ministère de la tran­si­tion éco­lo­gique et de la Cohé­sion des ter­ri­toires, « Zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette », Fas­ci­cule 1 : Défi­nir et obser­ver la consom­ma­tion d’espaces natu­rels, agri­coles et fores­tiers et l’artificialisation des sol, 2023.

2/B. Muckens­turm, « zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette (ZAN) : une bombe sociale à retar­de­ment ? », Les Enjeux Ter­ri­to­riaux, Épi­sode de pod­cast audio, France Culture, 2023. URL: www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-territoriaux/zero-artificialisation-nette-zan-une-bombe-sociale-a-retardement-6255422

3/Cf. J. Rawls, A Theo­ry of Jus­tice, Cam­bridge, Har­vard Uni­ver­si­ty Press, 1971.

4/M. Torre-Schaub, « Les inéga­li­tés envi­ron­ne­men­tales : une approche par la jus­tice. Réflexions autour d’une démo­cra­tie envi­ron­ne­men­tale », Envi­ron­ne­ment et san­té. Pro­grès scien­ti­fiques et inéga­li­tés sociales. Édi­tions de la Sor­bonne, 2020, p. 17–38. 

5/Ibid.

6/Selon un son­dage réa­li­sé par la Fédé­ra­tion fran­çaise des construc­teurs de mai­sons indi­vi­duelles (FFC) et l’institut Ifop en mars 2023.

7/G. Tom­ma­si, F. Richard et G. Sau­mon, « Intro­duc­tion – Le capi­tal envi­ron­ne­men­tal pour pen­ser les dyna­miques socio-envi­ron­ne­men­tales des espaces emblé­ma­tiques », Norois, n° 243, 2017, p. 7–15.

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