Partout, le vivant !

La vie, cet angle mort

 

Nous devons, la rédaction d’Urba­nisme et moi-même, vous faire un aveu : nous ne nous atten­dions pas, lorsque nous avons ins­crit le vivant à notre pro­gram­ma­tion éditoriale, à entrer dans des réflexions et échanges métaphysiques aus­si pro­fonds que fon­da­men­taux. À ques­tion­ner les frontières du vivant si elles existent, tant l’écosystème ter­restre peut, dans sa glo­ba­lité, être envi­sagé comme un orga­nisme, et que le minéral, et même toute matière, peuvent, par cer­tains aspects, être considérés comme vivants. Ou à nous inter­ro­ger sur les limites entre la vie et la mort, ce qui (ré)apparaît, ce qui disparaît et ce qui demeure, ou plutôt semble demeurer.

Notre inten­tion première était d’illustrer la marche en avant des poli­tiques et des pro­jets qui par­ti­cipent au nécessaire et lent tra­vail de déconstruction des réflexions et des dis­cours anthropocentrés, pour établir de nou­velles approches et, sur­tout, de nou­veaux liens avec le vivant non humain, ani­mal et végétal. Il me semble – au regard de la diver­sité et de la pro­fon­deur des articles et inter­views conte­nus dans ce numéro – que nous y sommes par­ve­nus. Il appar­tien­dra aux lec­teurs d’en juger, mais aus­si de découvrir, dans les inter­stices, entre les lignes, une autre matière à ques­tion­ne­ment moins atten­due, comme lorsque notre invitée, Natha­lie Blanc, déclare que « les réflexions d’urbanisme et pro­jets urbains n’envisagent que très rare­ment l’humain comme être vivant ».

Un constat aus­si frap­pant qu’indubitable : quelle considération pour l’humanité des communautés concernées ? Quelle place effec­tive pour la santé phy­sique et men­tale ? L’alimentation, l’éducation et la culture ? Et même, allons plus loin, pour les sen­ti­ments, la joie, la peur ? Com­ment ima­gi­ner intégrer ces ques­tions quand
les débats poli­tiques natio­naux de société oscil­lent entre un « réarmement démographique » (considéré comme un problème qua­si mécanique) et la « fin de vie » (envisagée moins sur le plan éthique qu’organisationnel) ?

Cette ques­tion ne mérite-t-elle pas, de toute évidence, d’être au cœur des enjeux de bifur­ca­tion ? Mais serions-nous capables de sol­der l’héritage pesant de Des­cartes et après lui des Lumières, Vol­taire, Dide­rot ou Rous­seau qui ont affer­mi le concept d’homme-machine, préparant admi­ra­ble­ment la société à la révolution indus­trielle et à l’avènement des deux idéologies qui l’ont accompagnée – capi­ta­lisme et socia­lisme – et se sont substituées aux reli­gions et à la phi­lo­so­phie ? Un concept irri­guant les différents cou­rants de trans­hu­ma­nisme au cœur de la nou­velle économie numérique, qui pro­met de nous affran­chir alors qu’elle nous condamne à vivre en trou­peaux dans des enclos digi­taux, déréalisés, désincarnés, désanimés ?

Oui, à condi­tion de reprendre conscience que nous sommes vivants, nous sommes réels, au cœur d’écosystèmes hyper­com­plexes avec les­quels nous entre­te­nons des myriades de liens orga­niques et émotifs. Nous ne sommes pas des machines à tra­vailler, à consom­mer et à diver­tir, issus du néant et n’allant nulle part. Nous sommes toutes et tous, et tout ce qui nous entoure, le pro­duit et la par­tie du vivant qui com­posent des milieux, des ter­ri­toires, des sociétés, des cultures et des villes.

C’est tout cela qu’il convient de ménager et non d’aménager, c’est cela la matière et le sens de l’urbanisme qui, ain­si considéré, nécessiterait peut‑être même d’être renommé.

Julien Mey­ri­gnac 

Pho­to de cou­ver­ture : La trans­hu­mance du Grand Paris, juillet 2019. © Jérômine Derigny/Collectif Argos

 

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À pro­pos

Depuis 1932, Urba­nisme est le creu­set d’une réflexion per­ma­nente et de dis­cus­sions fécondes sur les enjeux sociaux, cultu­rels, ter­ri­to­riaux de la pro­duc­tion urbaine. La revue a tra­ver­sé les époques en réaf­fir­mant constam­ment l’originalité de sa ligne édi­to­riale et la qua­li­té de ses conte­nus, par le dia­logue entre cher­cheurs, opé­ra­teurs et déci­deurs, avec des regards pluriels.


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